La crise israélienne

La crise israélienne doit être analysée avec beaucoup d’attention car ses tenants et ses implications sont multiples. Il me semble qu’il convienne de distinguer plusieurs crises en une alors que les derniers événements, se renforçant l’un l’autre, portent toutes ses composantes au paroxysme.

1- La crise est La conséquence ultime de la « révolution constitutionnelle » mise en place par le Juge Aharon Barak il y a trente ans, instaurant une prééminence de la Cour Suprême sur le Parlement et le Gouvernement sans aucun équivalent dans aucun pays démocratique. Cette révolution ne se fonde pas sur la loi mais sur une interprétation jurisprudentielle contestable d’une loi garantissant la liberté individuelle que personne en Israël n’aurait eu l’idée de contester. Les audaces de la Cour dans ce domaine se sont révélées progressivement mais surtout dans la dernière décennie. Bien que plusieurs Ministres de la Justice, des Juges, des professeurs de droit et des avocats se soient inscrits en faux au fil des ans contre cette évolution, ils se sont toujours trouvés en butte à des oppositions farouches.
Le cas du Ministre de la Justice Yaakov Neeman est particulièrement éloquent sur ce point, bien qu’il ne soit pas le seul. Souhaitant entreprendre une réforme rétablissant la séparation des pouvoirs, Il s’est vu trainé en Justice sous des prétextes fallacieux, a dû démissionner, et n’a pu prouver son innocence qu’après de nombreux mois. Son opposition était vaincue.

  • La cause immédiate de la crise est la loi sur la limitation du cas d’ouverture d’un litige devant la Cour Suprême, fondé sur la « raisonnabilité » d’une décision du Gouvernement ou de la Knesset et les autres mesures limitées constituant la réforme judiciaire destinée à rétablir la séparation des pouvoirs. Ce cas d’ouverture donne aux magistrats entière latitude, même sans base légale, d’annuler lois, règlements, circulaires, bref tout acte législatif ou de gouvernement dans des conditions qui établissent un véritable « Gouvernement des Juges » laissant dans l’ombre les élus du Peuple. Il est ahurissant que de si nombreuses personnes de tous les milieux, puissent avoir crié, sur cette base, à la « dictature », alors qu’il s’agit au contraire de rendre au Parlement et au Gouvernement, légalement désignés, la faculté de jouer leur rôle et de gouverner la Nation.

 

  • La cause profonde de ces désordres est manifestement la crise de société de l’oligarchie militaro-industrielle post-moderne considérablement enrichie par le développement du pays, alors que la redistribution des profits est spécialement faible. C’est surtout l’expression de son angoisse face à sa baisse démographique relative dans la population et la montée dans la société globale de l’intérêt pour la Tradition Juive. Les défilés de centaines voire de milliers de « chaperons rouges », dans les artères de Tel-Aviv, femmes déguisées, sur la base d’un roman récent imaginant une société phallocratique, dans laquelle les femmes seraient réduites au statut d’esclaves sexuelles, en protestation contre la réforme judiciaire, exprime peut-être au mieux la déraison devant la peur fantasmée d’une frange de la société. Il y faut une ignorance affligeante des valeurs juives qui semblait impossible dans un pays qui se définit comme l’Etat Juif. La peur de la vie spirituelle comprise comme une mise en chaînes, a pris dans ce milieu des proportions démentielles. Cela est pour beaucoup une surprise douloureuse.

 

  • Il faut souligner aussi la crise de politique politicienne résultant du refus de la gauche parlementaire de reconnaître la victoire de la droite aux élections de Novembre 2022. Comme suite à trois années de confusion durant lesquelles les scores électoraux restaient indécis, c’est la droite qui l’a emporté clairement avec 64 sièges sur 120. Bien que ces résultats n’aient pas été contestés, d’emblée plusieurs tentatives de trouver prétexte à scandales et désordres ont été montés en épingle, traduisant une rage presque incontrôlée. Cette tension fait obstacle au travail parlementaire normal notamment dans les commissions de la Knesset, chargées d’élaborer la législation. L’obstruction systématique des élus de la gauche remplace les échanges et critiques constructives.

 

  • Il convient de ne pas négliger la manœuvre de longue haleine de l’ancien chef d’Etat -Major et ancien Premier-Ministre, Ehoud Barak pour reprendre à tout prix le pouvoir. Après avoir amassé une fortune impressionnante (devenue semble-t-il la troisième du pays), Il joue un rôle considérable par des provocations inouïes, appelant à l’insurrection, usant de son prestige de soldat le plus décoré d’Israël, faisant un battage énorme dans différents médias. Or, il exposait déjà il y a trois ans par le menu, le détail de son programme d’« agit-prop », telle que nous la voyons se dérouler depuis 6 mois. Même si l’on se méfie des obsessions complotistes, il faut bien reconnaître que sa haine ouverte du Premier Ministre a quelque chose de troublant. Puisque les opposants à la réforme ne se démarquent pas du personnage, ils participent d’une ambigüité suspecte.

 

  • Personne en Israël n’a jamais été en mesure de financer pendant six mois d’immenses manifestations au minimum hebdomadaires, mais parfois plus fréquentes, parfaitement organisées, avec transports, sonorisation, drapeaux, banderoles immenses et coûteuses, slogans très étudiés, comme peut le faire l’opposition à la réforme. Les organisateurs refusent systématiquement de révéler leurs sources de financement. L’on est en droit de se poser des questions sur la possibilité d’interventions de puissances étrangères dans cette crise. On sait que Le « Keren Hadacha », le « nouveau fonds » financé des USA, participe au financement,  évidemment sans faire connaître les montants. Il semble aussi que le High Tech israélien se soit mobilisé largement. Les agences publiques américaines qui se sont fait remarquer notamment dans les « révolutions de couleurs » pourraient fort bien être aussi impliquées surtout au vu de l’interventionnisme du Président Biden dans les affaires israéliennes. Nous n’avons pas de preuves pour l’instant.

 

  • L’élément le plus grave de cette crise est de toute évidence l’attitude de quelques dizaines ou centaines de soldats d’unités d’élite de l’Armée de Défense d’Israël qui procèdent à un chantage sans précédent dans l’histoire d’Israël en annonçant au Gouvernement que s’il continue la législation décrite ci-dessus, ils refuseront de se mobiliser en cas de convocation. Après une valse-hésitation, il a été précisé qu’il s’agit notamment de pilotes de combat qui ne sont pas astreints légalement à des périodes de réserve mais qui sont volontaires pour poursuivre ces périodes pour renforcer les unités. Il s’agit en outre d’officiers supérieurs retraités d’unités prestigieuses. Jamais auparavant, il ne serait venu à l’idée d’un citoyen de l’Israël moderne de porter la moindre atteinte à la discipline, la force et la disponibilité de Tsahal face à une attaque toujours possible et ce pour des motifs politiques. C’est là une atteinte très grave à une convention quasi-sacrée, le cœur même du consensus de base de l’Etat d’Israël et de son armée populaire. Quand on prend la mesure du poids seulement de l’annonce de cette résolution face à ce qui est réellement en jeu, un retour nécessaire à la séparation des pouvoirs entre l’Exécutif, le Législatif et le Judiciaire qui ne remet nullement en cause les Libertés Publiques, l’indépendance des tribunaux, ni rien du caractère démocratique de l’Etat, on est pris de vertige devant l’intensité de la manipulation. Tout cela sur fond de menaces très réelles de l’Iran des Ayatollahs qui non seulement menace quotidiennement, à voix haute, Israël de destruction mais agit concrètement dans ce sens en entourant Israël, à Gaza, au Liban, en Syrie, en Irak et au Yémen, de milices redoutablement armées et en préparant sa nucléarisation.

 

Il faut maintenant surmonter la crise, panser les plaies, rétablir la confiance, retrouver les racines communes et prendre au sérieux les dangers qui nous entourent. Un peuple qui, il y a à peine 80 ans a perdu un tiers des siens dans la catastrophe physique et morale de la Shoah, qui s’est relevé miraculeusement en 75 ans de Retour dans son pays après un interminable exil, se doit à lui-même de trouver la force de conjurer les démons de la diversité et de la division qui l’habitent. Son Idéal déclaré, l’Unité du Créateur, de l’Humanité, des valeurs, devrait d’abord s’appliquer à lui-même.

 

Léon Rozenbaum

 

2 Responses to La crise israélienne

  1. Jean Pisanté dit :

    Je demeure ébahi que l’auteur de ces lignes puisse ne voir dans l’ampleur du mouvement publique de protestation qu’il décrit uniquement manipulation. C’est dénier le droit d’opinion à trop de gens (parmi eux énorme quantité d’intellectuels, universitaires, politiques) de niveau, et c’est refuser de s’auto interroger : la droite devait-elle générer une telle marée ? N’a-t-elle aucune responsabilité dans cet affligeant clivage de société ? Interrogé maintes fois sur ce thème, l’auteur ne propose aucune réponse, aucune réflexion sur ce sujet.

  2. Léon Rozenbaum dit :

    Personne n’est jamais totalement innocent ou totalement coupable. Mais dans la querelle actuelle en Israël, les responsabilités sont surtout d’un seul côté. Les torrents de haine qui s’adressent à Netanyahou, Smotrich et Ben Gvir passent toutes les bornes. Mais la n’est pas l’essentiel. Il y a manipulation des foules à trois niveaux: une presse dominée par la gauche, des sommes sans précédent en Israël, clandestines pour financer une agit- prop de type stalinien depuis plus de six mois, un quarteron de militaires mis en condition pour donner une crédibilité à des mensonges. Tout cela et quelques ingrédients supplémentaires pour créer une destabilisation, une subversion très dangereuses.

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