Nœud Gordien par Léon Rozenbaum

Plus on se penche sur la question de la crise de société aigüe qui s’est déclenchée en Israël à l’occasion d’une réforme minimale des rapports du pouvoir judiciaire avec les pouvoirs législatif et exécutif, de nature à restituer à notre pays son caractère démocratique authentique, mis à mal par l’ « activisme judiciaire » avoué de la Cour Suprême, commencé il y a plus de trente ans, et devenu au fil des ans, une véritable dictature des Juges, et plus l’on comprend qu’il s’agit d’un nœud gordien.

En effet, la crise met à jour bien plus que quelques aspects de technique juridique qui auraient pu faire l’objet d’un consensus avec quelques efforts de la part de l’opposition comme de la majorité émanant des élections de Novembre dernier.

Il s’avère que beaucoup d’Israéliens sincères ne mettent pas derrière la définition du concept de « démocratie » la même réalité. Mais il y a aussi des Israéliens dont la sincérité est sujette à caution. Sans compter les « conseils » prodigués de l’étranger » par des Occidentaux qui depuis longtemps, ont tendance à considérer la souveraineté juive au Pays d’Israël comme sous condition, voire temporaire pour des raisons liées aux ambigüités judéo-chrétiennes sans rapport avec le droit.

Il reste que selon la définition partout admise en Occident démocratique et libéral, ce qui caractérise une démocratie représentative est la tenue d’élections régulières, ouvertes à tous les citoyens qui désignent leurs représentants au Parlement quand la majorité désignée par le système électoral en vigueur dans le pays concerné, constitue le Gouvernement jusqu’au terme prévu par la loi, le Parlement étant habilité à se prononcer sur la législation, en ayant le dernier mot, même quand est organisé une procédure de vérification de la constitutionnalité des lois.

Or, suite à l’adoption d’une loi en apparence bénigne, il y a trente ans environ, la » loi sur l’honneur de l’Homme et sa liberté » destinée à renforcer le principe de la liberté individuelle si chère au cœur de chaque Juif surtout depuis la Shoah, l’un des juristes les plus prestigieux d’Israël, le Juge Aharon Barak a commencé d’interpréter cette loi comme instituant un principe constitutionnel dont l’effet ultime a été de prétendre donner au Pouvoir Judiciaire l’ascendant sur le Législatif comme sur l’Exécutif, entre les mains de la Cour Suprême et du Conseiller Juridique du Gouvernement, cela sans modification législative d’aucune sorte, sur la base pure et simple de sa propre jurisprudence.

De fait, au cours des dernières années, la Cour et le Conseiller interviennent directement et régentent tous les domaines de la vie de l’Etat au point d’infléchir de manière décisive les décisions des organes légalement élus pour mener et diriger la vie du pays. La démocratie israélienne, de l’avis de très nombreux juristes éminents, professeurs de droit, juges en exercice ou à la retraite, auteurs d’ouvrages de doctrine de droit, se trouve gauchie, voire détournée par cette pratique.

En réalité, il existait parmi les juristes un large consensus pour penser que ce système n’était pas approprié et qu’une réforme était indispensable. Le nouveau Ministre de la Justice, M. Yariv Levine est depuis plus de vingt ans, l’un de ces juristes attachés à alerter l’opinion sur ces déviances et à vouloir y remédier. Rien de surprenant donc qu’il ait souhaité passer à l’acte rapidement en présentant au Parlement israélien, la Knesset, un projet en quatre points qui constituent un minimum urgent pour remettre le pays dans les rails de la démocratie, ce qui n’exclut pas la mise en chantier de garde-fous supplémentaires pour empêcher une dérive éventuelle de l’action gouvernementale et même du Parlement pour l’instant monocaméral :

Une modification dans la procédure de désignation des Juges par le remplacement des deux représentants de l’Ordre des Avocats au sein de la commission de désignation, par des membres du parlement, cela afin de remédier à la tendance persistante de choisir essentiellement des magistrats d’un profil idéologique déterminé :

-Le réaménagement du contrôle de la constitutionnalité des lois (que la jurisprudence de la Cour Suprême s’était accordée à elle-même sans aucune décision démocratique). Toutefois ce contrôle serait conservé par la Cour, même en cas de résistance du Parlement, mais alors à une majorité spéciale des Juges composant la Cour Suprême ;  

-Annulation du cas d’ouverture d’une instance à la Cour Suprême résultant de la « raisonnabilité » d’une décision contestée de l’administration y compris du Gouvernement. Le système actuel entraine en réalité le « Gouvernement des Juges », né lui aussi d’une jurisprudence de la Cour. Un tel critère est si manifestement élastique que la subjectivité du magistrat devient la norme et le repère légal l’exception.

-Modification du statut des Conseillers Juridiques des Ministres, y compris du Conseiller Juridique du Gouvernement qui seront désormais choisis par le ministre en question et pourront être démis par lui. Jusque- là, bien souvent, la politique du ministre était entravée par son conseil juridique d’une obédience politique différente. La situation est devenue pire encore pour le Conseiller Juridique du Gouvernement, simple fonctionnaire désigné par le Gouvernement, qui se croit autorisé à intimer des instructions directes au Premier-Ministre et aux différents Ministres composant le Gouvernement.

Rien dans ce train de mesures ne modifie sérieusement l’ordre juridique israélien et ne menace de quelque façon la démocratie, au contraire. C’est l’équilibre des pouvoirs entre le Parlement, le Gouvernement et l’Autorité Judiciaire qui est rétabli.

Or ce programme est à l’origine d’un raz-de-marée d’anathèmes, de protestations et de manifestations d’une ampleur presque sans précédent en Israël, le décrivant comme « la ruine de la démocratie », la « marche en avant de la dictature », bref un concert délirant d’exagérations sans fondement, orchestré par les leaders de l’opposition, d’anciens Premiers-Ministres, d’anciens Présidents de la Cour Suprême et la Présidente actuelle, mais aussi les principaux médias, mobilisés en faveur de la subversion, totalement oublieux des principes élémentaires de leur profession, d’une recherche minimale de l’objectivité et de l’égalité du temps de parole.

Depuis treize semaines, les opposants à la réforme rassemblent des dizaines de milliers de personnes affolées et se persuadent qu’ils « sauvent la démocratie » alors même qu’ils piétinent ses principes élémentaires. En effet, le peuple souverain, dans son ensemble, avec ses dix millions d’habitants, vient de s’exprimer, il y a cinq mois, par un vote d’une grande netteté approuvant une réforme nécessaire clairement annoncée. Les Médias, mais aussi l’Establishment juridique donc, privent délibérément le Gouvernement de la faculté de s’exprimer pour tenter de calmer le jeu.

Imagine-t-on une situation où la Ministre de l’Information se voit interdire expressément par la Conseillère juridique du Gouvernement, d’une autorité qu’aucune loi ne lui a conférée, de seulement évoquer la réforme entreprise par le Gouvernement, au moment même où cette démarche est présentée partout faussement comme l’antichambre de la dictature ? C’est pourtant l’un des dysfonctionnements majeurs de l’Etat d’Israël aujourd’hui et c’est marcher sur la tête.

Derrière ces événements, se profile aussi une lutte politique très réelle. Ce qui est en jeu est bien plus profond. Cette étrange « gauche » israélienne composée surtout de la bourgeoisie dite « laïque » de plus en plus éloignée des thèmes de la Tradition d’Israël, se rêve à la pointe des    « valeurs » européennes, non de l’Europe et de l’Occident tels qu’ils sont, en plein déclin, mais tels qu’elle se les représente comme n’ayant pas varié depuis trois quart de siècle. C’est ce que le Juge Barak avait appelé dans un arrêt devenu célèbre, « Hatzibour Hanaor », le « public éclairé » à l’opposé des gens simples, précisément la droite qui vient de gagner les élections.

Cette bourgeoisie s’estime investie de la légitimité démocratique, par nature, même contre toute évidence. Il va bien falloir qu’elle révise ses présupposés et regarde la réalité en face. En attendant, elle cause de grands dommages à la crédibilité d’Israël, lui-même sous attaque permanente de certaines composantes de l’Islam et traité avec une ambivalence souvent hostile par l’Occident de civilisation chrétienne.

La prise de pouvoir absolu par la Cour Suprême, composée essentiellement de personnes relevant de cette gauche, qui prend un soin attentif à ne recruter en son sein que ses semblables, assure depuis longtemps la domination de cette classe, qu’elle gagne ou perde les élections. C’est précisément l’idée d’être écartée du pouvoir par l’échec aux élections et par la réforme judiciaire qui la conduit à ces provocations à la panique et à la guerre civile. Dans un moment de tension extrême face à l’Iran, face aux Palestiniens, face au Hezbollah libanais et durant le mois du Ramadan, fête musulmane souvent génératrice d’angoisses supplémentaires de tous les côtés, cette attitude est irresponsable.

Ces menées provocatrices ont semé une zizanie telle que tout dialogue semble devenu impossible. Les gens de droite et de gauche, lorsqu’enfin on entend autre chose que les provocations de la gauche, ne peuvent plus échanger des idées mais seulement des cris et des invectives.

Suite à une initiative individuelle, le 30 Mars dernier, un petit groupe de Franco-Israéliens établis en Israël depuis longtemps ont décidé, à la lumière de leur formation européenne de réussir, malgré ce climat, à réaliser à Jérusalem, un débat public entre partisans et opposants à la réforme qui s’effectue dans le respect mutuel et la courtoisie. Le débat s’est déroulé en Français. Il a effectivement permis une écoute réelle des arguments des deux parties. Il a mis en lumière que les désaccords ne portent pas sur tous les points mais qu’il y a aussi des convergences. Personne n’a été contraint de modifier son opinion, et les analyses étaient diamétralement opposées.  Il est grand temps de généraliser cette approche qui à terme permettra d’ouvrir un vrai dialogue dans la Nation. Bien sûr, il faudra que les débats aient lieu en Hébreu. Il faudra aussi éloigner les excités et tous ceux déterminés à user de violence.

Il semblerait que si l’on tentait d’élaborer ensemble une réforme plus vaste de l’Etat incluant la modification du régime électoral, des systèmes de contre-pouvoirs non seulement face à la Cour Suprême mais aussi face au Gouvernement et même au Parlement, en passant simplement au bicaméralisme, des terrains d’entente pourraient être trouvés pour assurer ce que tous les Israéliens chérissent, la démocratie et empêcher tout ce qu’ils abhorrent, le spectre de la dictature.

2 Responses to Nœud Gordien par Léon Rozenbaum

  1. Jean Pisanté dit :

    l’article est bel et bien signé Léon Rozenbaum, et il présente son interprétation – certes fondée, l’auteur étant juriste – mais la fin se veut un compte rendu d’une séance au cours de laquelle seuls trois intervenants étaient dfavorables à la réforme, contre trois qui représentaient le public qui s’y oppose. Or l’article est très nettement positionné en faveur de la réforme et contre la situation actuelle, ce qui ne reflète pas l’ensemble de la réunion. L’aritcle en outre insinue que tout le mouvement populaire en Israël depuis treize semaines est orchestré par l’opposition, la cour suprême et les médias, ce qui ne peut qu’être un avis partial. Le peuple est dans la rue parce qu’il ne voit nullement cette réforme comme minime mais parce qu’il s’y oppose, ses auteurs paraissant plus que suspects et antipathiques à ses yeux. C’est un mouvement comme l’écrit l’auteur de l’article d’une ampleur sans précédent. Un mouvement populaire auquel il faut accorder du crédit plutôt que de présenter ses participants comme manipulés.

    • Léon Rozenbaum dit :

      l’article n’avait pas pour objet de simplement rendre compte du debat contradictoire du 30 Mars a Jerusalem, mais de refleter l’opinion de l’auteur sur les evenements actuels et se presente comme tel. Je persiste et signe.

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