Manitou l’E.I. Témoignage de Léon Rozenbaum (Sphinx)

Manitou est de la génération de mes parents et j’ai aujourd’hui 75 ans. Nous n’avons pas pu être ni louveteaux ni éclaireurs ensemble. Notre identité EI commune ne provient pas de souvenirs de randonnées ni de descentes de rivières.
Et pourtant, je vais essayer de mettre en lumière, dans ce témoignage, qui, bien sûr, parle de mon histoire, que notre appartenance au Mouvement a bien été présente toujours en filigrane dans toutes les actions réalisées en commun.

L’ENFANCE EI
Dire que j’ai entendu parler de Manitou pendant mon séjour aux Louveteaux, puis aux Eclaireurs des E.I., dans les années 50 et le début des années 60 du siècle précédent, serait exagéré.
Bien sûr, l’on prononçait alors avec respect des noms un peu mystérieux comme « Castor », « Pivert », »Manitou », « Chameau » etc.., qui faisaient figure de personnages de légende.
Lors de mon premier voyage en Israël en 1964, qui était une importante délégation d’E.I. d’âge adolescent, nous avions rencontré un nombre considérable d’anciens E.I, établis en Israël et le nom de « Manitou « était souvent cité.
L’aspect légendaire de tous ces personnages était pour moi encore renforcé par le fait que mon père Shlomo-Simon Rozenbaum ז »ל (dit aux E.I. « Jumeau ») avait été avec son frère jumeau Léon, louveteau aux E.I. dans les années 30, puis Éclaireur puis cadre et militant dans la Sixieme.

La sixième était ce réseau clandestin E.I. pendant l’occupation allemande de la France, chargé de la « planque » ( la cache ) des enfants juifs pourchassés, de la fourniture de fausses cartes d’alimentation aux familles non-juives qui les accueillaient au péril de leur vie, et, quand c’était possible, de leur passage clandestin en Suisse. Beaucoup de Responsables E.I. ont laissé leur vie lors de ces missions. Il est juste de rappeler leur mémoire.

Mon oncle Léon, dont je porte le nom, n’a pas survécu à la guerre dans un autre contexte, après être passé, avec mon père, à la Résistance armée dans un réseau communiste.

UN CADRE EI

Lorsque je fus devenu moi-même un cadre E.I., à la Troupe David puis en suivant, et plus tard, en encadrant  des camps de formation, lorsqu’il a fallu préciser les termes de notre engagement E.I., ses implications réelles pour notre vie, les textes de Manitou, et son enseignement reçu par l’intermédiaire de mes Chefs, par exemple Pierre, Eliakim Simsovic, sont devenus essentiels pour moi.

RENCONTRER MANITOU

C’est lorsque j’ai commencé mes études de droit et de Lettres au quartier latin à Paris, en 1966, où j’ai bien sûr fréquenté les centres juifs, que j’ai eu l’occasion d’assister à plusieurs conférences de Manitou.

Ce fut un choc. C’était comme si Manitou parlait directement à notre âme juive. Il exposait des thèmes complexes qui soudain nous paraissaient limpides. Mais quand il fallait les exposer à nouveau, on comprenait qu’il nous faudrait encore beaucoup d’efforts.

J’ai habité la ville d’Orsay entre 1968 et 1976 et j’ai connu les dernières années de l’Ecole Gilbert Bloch ou se dispensait aussi l’enseignement de Manitou notamment par la bouche d’André Hochberger.

NOTRE ALYAH

Après notre Alyah en 1976, mon épouse Hana et moi avons assisté à des cours de Manitou d’abord à Mayanot puis, durant une année scolaire, au Centre Yaïr qui venait d’ouvrir. C’est là que Manitou a connu mon existence.

Comme je l’entourais d’un grand respect, je considérais normal de vouvoyer Manitou. Mais très vite, Manitou après s’être assuré que j’étais bien un E.I., m’a ordonné de passer au tutoiement.

Je lui exposai alors que cette tradition E.I. avait quelque chose de magique et qu’en dernière analyse, elle consistait à nier le passage du temps : Les E.I. sont tellement marqués par l’engagement de leur jeunesse à la fois juif, sportif, de responsabilité et de fraternité, que ce sceau les accompagne leur vie durant. Et pourtant lui dis-je, le temps passe. Manitou approuva d’un hochement de tête mais insista : tutoiement !

 

COOPERATION AVEC L’UNIFAN

L’étape suivante en 1983-1988 fut mon élection à la présidence de la section de Jérusalem de l’UJFAN, puis à la présidence nationale de l’UNIFAN. Je fis en sorte que le message de Manitou soit largement diffusé auprès de tous les publics de l’Union (qui compta bientôt 15 sections dans Tout le Pays.)

Nous étions alors beaucoup plus souvent ensemble, notamment durant les déplacements en voiture.

J’eus alors à plusieurs reprises la joie de recevoir quelques cours particuliers. Il n’y a pas de doute que notre passé EI commun ait agi comme un catalyseur d’une coopération qui est allée en se renforçant.

J’étais encore jeune en ce temps-là, et j’avais effectué un voyage à paris pour assister à l’A.G. du Fonds Social Unifié afin d’établir des liens plus étroits entre les francophones d’Israël et les institutions juives de France. Or, ayant été reçu avec une condescendance qui frisait le mépris, je revins furieux et décidai d’organiser une conférence de presse de rupture.

Manitou resta assis à mes côtés durant toute la conférence et m’empêcha de prononcer des paroles irréparables.

L’unifan, sous l’impulsion de Richard Darmon organisa aussi un colloque mémorable communauté juive de France/communauté des Israéliens francophones en présence des principaux cadres communautaires de l’époque (Grand-Rabbin Sirat, les patrons du FSJU, Plusieurs Rabbins Haridim,) et du côté Israélien, le Grand Rabbin Albert Hazan, et bien entendu Manitou, Mme Neher et d’autres personnalités. Ce fut l’occasion de mises au point d’un très haut niveau.

L’unifan organisa aussi une délégation en France dirigée par Manitou à Paris, Lyon, Marseille Nice qui eut un grand retentissement et qui fut aussi l’occasion de beaucoup d’entretiens et d’aventures communes avec Manitou.

L’HOMMAGE A MANITOU 70 ANS

L’étape suivante de mon point de vue fut l’organisation de l’hommage à Manitou pour ses 70 ans en Juin 1992, Une très petite équipe dont j’eus l’honneur de faire partie a travaillé plusieurs mois à cette opération au Théâtre de Jérusalem qui fut un très grand succès. Nous avions décidé de ne pas essayer de faire la surprise à Manitou car nous nous doutions que maintenir le secret serait impossible. Cela aussi nous a beaucoup rapprochés.

Puis vint le temps de mon intérêt accru pour la presse écrite, toujours avec Richard Darmon qui lui, était déjà un journaliste confirmé. Nous avons lutté ensemble des mois durant pour convaincre le « Jerusalem Post » de lancer une Edition française. Et ce n’est qu’après avoir sorti un numéro zéro d’un journal indépendant le »Temps de Jérusalem », que la direction du Post, devant la qualité de notre travail, a fini par accepter de nous confier le lancement de son édition française, mais bien sûr, à ses conditions. Manitou était tenu au courant de nos projets et avait écrit un article dans le « Temps de Jérusalem ».

 

JERICHO

Quelques semaines avant les « Accords d’Oslo » se place un épisode un peu étrange de mes rapports avec Manitou : Nous rentrions ensemble en voiture à Jérusalem, lorsque Manitou me déclara que des « événements importants allaient se dérouler et que tout commencerait à Yeriho ». A ce moment personne n’aurait pu imaginer aucune sorte de rapprochement avec l’OLP.

Lorsque cette affaire éclata, j’interrogeai de nouveau Manitou sur la suite des évènements puisqu’il avait si bien su décrire עזה ויריחו תחילה !

Manitou me dit alors ne pas se souvenir de m’avoir fait cette révélation lors de notre précédente rencontre et déclara avec humour : »je vais devoir me surveiller ». Vous imaginez ma stupéfaction, qui n’est pas apaisée à ce jour.

 

 

LA POLITIQUE D’OSLO

Puis vint le temps de notre levée de bouclier commune contre la politique d’Oslo. Manitou était affaibli par la maladie mais luttait de toutes ses forces. J’ai notamment assisté Manitou lors d’un meeting à Heichal Schlomo. Manitou était dans un état de fureur considérable et je me suis autorisé à rappeler en sa présence qu’il était un Rav et non un chef de guerre. J’avais bien conscience qu’il ne pouvait pas lancer ses élèves dans des manifestations violentes quelle que soit la vigueur de son ressentiment.

 

JOURNALISME

Une remarque sur mon approche journalistique assez particulière : lorsque j’écrivis au début de ma période d’écriture sur l’Occident, l’Islam et Israël, les sujets qui m’importent et me fascinent le plus, suite à l’enseignement de Manitou, je n’osais rien publier sur ces sujets sans obtenir l’approbation préalable de Manitou. Il est d’ailleurs arrivé que Manitou ait ajouté deux ou trois paragraphes de sa plume à l’un de mes articles, tout en refusant de cosigner l’article.

Jusqu’au jour ou Manitou m’a fait signe que ce n’était pas nécessaire.

 

CASTOR ET MANITOU

Cette coopération confiante n’aurait pas été possible sans le lien ineffable que l’EIsme crée entre ceux qui y ont vraiment cru.

L’héritage intellectuel de Castor demandait aux jeunes Juifs de n’être pas seulement des discoureurs mais aussi des «bâtisseurs», le tout dans la joie, la confiance et l’amitié. L’intégration de la vision de Castor d’une société fraternelle à la vision juive traditionnelle qui serait An »archique », sans hiérarchie, sans classes, ‘ממלכת כהנים וגוי קדוש, est l’apport de Manitou à l’Ethos EI.

Dans une société de sainteté, la fraternité va de soi. Manitou a pris très au sérieux la fraternité EI au point d’y discerner un avant-goût de l’atmosphère messianique. Certains témoignages de la littérature EI laissent penser que certains responsables, autour de Castor et ensuite, avaient effectivement atteint un degré d’abnégation et de fraternité qui montraient la voie vers un monde qui vient.

Et quel EI sérieux n’a pas éprouvé pendants certains camps, à la veillée, à la Tefila ou durant certains cours, cette élévation de l’esprit et du cœur, où l’effort, la responsabilité, le sens de la beauté de la Création, le contact avec la Terre, l’amitié, se conjuguaient pour assurer la transmission de l’espérance juive ?

 

CONCLUSION

Grâce à D. l’enseignement de Manitou se développe chaque jour en Israël et en Hébreu et commence à recevoir la dimension considérable qui lui revient. Nous qui l’avons connu, avons aussi le devoir de témoigner de l’ampleur de sa vision et de son savoir, même si il nous sera toujours difficile de seulement rendre compte de son humour.

Parmi ses derniers enseignements, je note l’obligation qu’il nous fit de bien distinguer entre le respect dû au père et le respect dû au Rav, dont Manitou dénonçait le confusionnisme si répandu dans l’Israël contemporain.

Manitou souhaitait que chacun d’entre ses élèves se souvint et honore sa propre tradition familiale en même temps qu’il assumait l’enseignement reçu de lui-même.

Il faut dire que le champ d’application de la Thora de Manitou est si vaste et d’une telle hauteur de vue qu’il n’y a rien là pour nous surprendre.

Cette modestie fondamentale et cette insistance ne fait que renforcer notre admiration et notre reconnaissance pour l’un des plus grands Maîtres contemporains du Judaïsme de langue française.

Leon Rozenbaum

 

 

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