L’Etat et la Nation polonais

Lorsque l’on débat de la récente loi polonaise qui prétend criminaliser toute assimilation des camps de la mort installés sur le sol polonais par l’occupant nazi allemand avec les « camps polonais » il convient d’être très précis. Il est vrai qu’entre 1939 et 1945, l’Etat polonais vaincu en quelques jours par la Wehrmacht et dont le territoire avait été partagé en vertu du pacte germano-soviétique négocié par Molotov et Ribbentrop entre l’Allemagne et l’Union Soviétique avait virtuellement cessé d’exister. L’Etat est une entité juridique qui personnifie la légitimité de l’occupation d’un territoire par une population déterminée qui depuis au moins le 19ème siècle est généralement une Nation. En réalité, il convient de ne pas oublier l’existence du Gouvernement polonais en exil à Londres, qui pendant toute la guerre a assuré la persistance de la légitimité de l’Etat polonais.

La Nation, elle, est constituée de personnes physiques qui ont la volonté de vivre ensemble et ont en commun une langue, un passé, des mœurs, un attachement à leur territoire,  bref, une civilisation commune.

Or la Shoah, le massacre sélectif de masse d’au moins six millions des Juifs d’Europe constitue une catastrophe morale d’une dimension inouïe dont l’essentiel s’est déroulé sur le sol polonais. Si, en effet, durant les guerres nombreuses subies par l’Humanité durant son Histoire écrite, bien souvent le nombre des victimes a été encore plus élevé, jamais auparavant un peuple avancé et technicien n’était allé sélectionner un autre peuple dispersé au sein d’autres populations, pour l’assassiner par millions. Il y fallait un acharnement, une perversité, un génie du mal, une négation des valeurs, et une cruauté qui ne ressemble à rien dans l’Histoire moderne.

Des centaines de témoins rescapés des camps dans nos familles ont témoigné et, pour le petit nombre qui reste, continuent de témoigner, de la très large complicité de la population polonaise avec l’entreprise d’anéantissement des Juifs par les nazis. Cela, à côté d’un petit nombre de Polonais héroïques qui ont risqué leur vie pour sauver des Juifs.

Il a fallu plus de 50 ans à l’Etat français pour reconnaître que la France comme Etat et comme Nation portait une part de la responsabilité dans le déroulement de la Shoah sur le territoire français, mais du moins, cette prise de responsabilité est venue. Pourtant, et il faut le souligner, vivaient en France en 1939 quelques 300,000 Juifs et les nazis n’ont pu en assassiner « que » 80,000 environ (environ trois fois plus que les victimes de la Saint-Barthélemy pourtant).

En 1939 vivaient en Pologne environ 3 millions de Juifs dont la quasi-totalité a subi un meurtre de masse au mieux dans l’indifférence mais souvent avec la participation active de la population polonaise occupée par les Allemands, sans compter les pogroms sur la personne des Juifs rescapés après la victoire de 1945 qui prétendaient rentrer dans leurs foyers.

Dans ces conditions, la nouvelle loi polonaise est inacceptable. Elle tend visiblement à exonérer l’Etat et la Nation polonaise de toute responsabilité dans le meurtre de masse des Juifs en Pologne et cela constitue une réécriture de l’Histoire, un mensonge, une « fake news ».

L’Etat d’Israël, le surgeon de la civilisation juive, a vocation à représenter les intérêts moraux et historiques du Peuple Juif et a le devoir d’exiger une véritable mise au point: l’Etat polonais ne peut pas jouer sur les mots. En tant qu’Etat-victime il est clair qu’il n’avait pas le contrôle des événements de l’époque, mais si l’Etat polonais actuel prétend représenter la Nation polonaise dans sa continuité, il a un lourd passé à assumer et il a bien autre chose à faire à propos de la Shoah que tenter de se défiler devant des responsabilités écrasantes.

 

Léon ROZENBAUM

 

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